Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Mission Ouvrière Nationale

L'Eglise en monde ouvrier et dans les milieux populaires

"La Villeneuve, l’Utopie Malgré Tout " quartier sud de Grenoble. Redécouverte d'un film documentaire du 17 octobre 2015

Un film en colère contre la stigmatisation des « banlieues », mais aussi constructif pour une nouvelle relation entre médias et quartiers populaires.

10 ans après les émeutes d’octobre 2005, voici un documentaire surprenant par l’originalité de son propos et sensible grâce aux regards de deux membres actifs de LaTéléLibre : Vincent Massot et Flore Viénot.

C’est leur premier film (durée 51'26").

« La Villeneuve, l’utopie malgré tout »

Une coproduction

ON Y VA ! media et Public Sénat

Produit par John Paul Lepers

Un film de Vincent Massot et Flore Viénot

Réalisation
Vincent Massot

Extrait de l'article La TeleLibre.fr :

Par Flore Viénot

Le quartier de la Villeneuve au sud de Grenoble, c’est l’histoire d’une utopie née du désir de créer un lieu où la proximité spatiale réduirait la distance sociale, où l’harmonie naitrait de la diversité, l’Homme nouveau d’un nouvel habitat. A partir de 1969, une équipe pluridisciplinaire faite d’architectes, de sociologues, de paysagistes, d’ingénieurs et d’économistes concrétise ce projet : autant d’appartements en location qu’en accession ; des équipements collectifs intégrés dans la construction : des lieux de convivialité et de rencontres dans les coursives par lesquelles tous les habitants passent et s’arrêtent, une salle de spectacle, une bibliothèque, un studio de télévision, une médiathèque et des salles de réunion accessibles à tous ; les écoles au centre du Grand ensemble, pensé autour d’un projet éducatif de pédagogie alternative ; des centres de santé regroupant tout ce dont les habitants avaient besoin ; une maison de retraite et un foyer de jeunes travailleurs en plein cœur du quartier et sur le passage des jeunes écoliers…

Mais 40 ans plus tard, qu’est devenue cette utopie ? « Morte », peut-on parfois entendre. « Oubliée, enfouie, disparue ». Certains, qui en venant à la Villeneuve pensaient trouver le nouvel Homme, clé en main, sont repartis dès les années 1970, déçus de ne l’avoir pas trouvé. D’autres, qui venaient en France répondre aux besoins de main d’oeuvre, se sont vus installés dans ce tout nouveau quartier, mais sans le choisir. Placés là sans savoir où il posaient leurs valises, ils ont parfois pu se sentir pris pour les « cobayes » d’une expérience de jeunes militants et idéologues. Les années 1980 ont vu s’accentuer cette tendance : le départ de ceux qui avaient choisis de venir, et l’arrivée de nouveaux venus, toujours plus nombreux, à qui on ne donnait pas le choix. Le malaise grandit en même temps que la mixité s’estompe et que les loyers baissent. La violence sociale s’infiltre et se manifeste alors ponctuellement dans des actes de violence physique, qui attirent particulièrement l’attention des médias, jusqu’en 2010 où Nicolas Sarkozy déclame un discours dans lequel il explique l’origine de la délinquance par l’immigration, suite à l’assassinat de deux jeunes du quartier voisin par un groupe de jeunes de la Villeneuve. L’utopie serait donc « morte », « oubliée » ? Devenue « horreur » comme l’affirmait encore en 2012 Valeurs Actuelles, ou « enfer » comme a voulu le démontrer un Envoyé Spécial en 2013 ?

Absurde. Une utopie ne meurt pas, car par définition, elle n’existe pas. Eu-topos, elle est cet « endroit de nulle part », ce « non-lieu », cet objectif inatteignable, cette idéologie qu’on ne peut concrétiser. Et c’est ce qui la rend immortelle. Paradoxalement, c’est justement dans ce « non lieu » que se situe sa condition d’existence même. Car sitôt qualifiée d’« accomplie » ou de « stable » elle serait alors morte avant d’être née. C’est la Terreur de Robespierre, la dictature de Staline ou le monde totalitaire que décrit Orwell dans « 1984 ».

L’utopie n’est en effet pas figée. Pour exister, elle doit être faite de ratés, d’échecs et de tentatives vaines qui viennent la bousculer à chaque pas. Elle est une dynamique éprouvée. A la Villeneuve, les déchets jetés par la fenêtre, les incompréhensions entre jeunes et policiers, les violentes colères des habitants contre les journalistes ou encore les étincelles des quarante nationalités qui se frottent dans le groupe de percussions brésiliennes, sont ces tentatives et ces ratés qui sont une succession de déséquilibres, nécessaires à la bonne marche de l’utopie.

Lorsqu’un conflit survient au sein de la BatukaVi (le groupe de percussions), c’est à chaque fois l’occasion d’affirmer à nouveau le « respect » qui doit être le seul guide selon Willy, le chef d’orchestre. Ou, bien plantés sur leurs jambes, comme enracinés dans la fierté d’une identification aux murs de la Villeneuve en opposition aux « autres » (tantôt ceux du centre-ville, tantôt les journalistes) qui se perdent dans les méandres de la galerie de l’Arlequin en même temps que dans ceux de l’Histoire et de la Philosophie du quartier, les habitants ont été bousculés par le reportage d’Envoyé Spécial, jugé particulièrement à charge contre le quartier. Une secousse douloureuse mais finalement salutaire car, alors assoupis, les habitants se sont levés et organisés collectivement pour porter plainte contre France Télévisions. Se mettre ensemble, agir, reprendre possession de son image : ils redonnaient ainsi un nouveau souffle au projet collectif alors en léthargie.

L’utopie avance donc sur un fil, à jamais instable. De l’utopie au cauchemar, il n’y a alors qu’un pas : entre la colère destructrice et celle bâtisseuse, la frontière est poreuse. Devant un sentiment d’injustice face à un reportage jugé discriminant : proposer une autre image ou vouloir détruire tout ce qui pourrait appartenir de près ou de loin au monde des médias. De l’un à l’autre la distance n’est pas si grande.

« Villeneuve, l’utopie malgré tout », c’est donc l’histoire d’une utopie, inscrite dans le patrimoine génétique du quartier de la Villeneuve. Non pas « raisonnable », comme la décrivait dans son film réalisé en 1972 Claude Massot, le père du réalisateur Vincent Massot, mais une utopie en construction, jamais acquise. Une utopie dont le « malgré tout » inclut les déséquilibres, nécessaires à sa bonne marche qui n’en est, par définition, qu’une succession.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article