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Mission Ouvrière Nationale

L'Eglise en monde ouvrier et dans les milieux populaires

La réforme des retraites sous la loupe de la pensée sociale de l’Église

La Mission Ouvrière de Lille nous propose de regarder la réforme des retraites en cours à la lumière de la pensée sociale de l'Église.

Trois jours après la journée de mobilisation sociale du 5 décembre 2019 sur la réforme des retraites, les chrétiens engagés dans le milieu ouvrier et les quartiers populaires se questionnent sur la nécessité et la justice de la réforme préparée par le gouvernement.

Sur le fond comme sur la forme, cette question est loin d'être théorique pour les personnes des milieux populaires dont les salaires, puis les pensions, sont les plus bas et qui ont une espérance de vie bien plus courte que les personnes des milieux aisés. Pour les chrétiens, il apparait important d'éclairer cette réforme à la lumière de la pensée sociale de l'Église pour en faire apparaitre les chances et les dangers.

La Mission Ouvrière du diocèse de Lille vous propose un regard ouvrier et chrétien sur cette question d'actualité. Un regard parmi tant d'autres qui vous aidera peut-être à forger votre opinion.

Ce que l'on sait de la réforme des retraites

La réforme des retraites en cours de préparation laisse beaucoup de zones floues mais elle s'appuiera principalement sur les préconisations du haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, présentées en juillet 2019. Ces préconisations laissent apparaitre les grandes lignes directrices du futur système :

  • Un système universel par répartition qui s'appliquera à tous et qui englobera les 42 régimes obligatoires qui coexistent aujourd'hui (base, complémentaire, fonctionnaires, privé, indépendants, régimes spéciaux…).
  • Un système par points où un euro cotisé vaudra les mêmes droits pour chaque Français. Ce qui mettra fin à la règle des vingt-cinq meilleures années dans le privé et des six derniers mois dans le public qui sert de base de calcul des droits à retraite aujourd'hui au risque de pensions plus basses.
  • Pour compenser cette baisse de revenus, le nouveau système intégrera les primes dans le calcul des droits à la retraite des fonctionnaires civils, militaires et salariés des régimes spéciaux.
  • L'âge minimum de départ à la retraite qui resterait à 62 ans mais l'âge réel de départ sera plus tardif pour la grande majorité des salariés qui devront travailler plus longtemps pour partir avec une retraite à taux plein.
  • La pénibilité devrait être prise en compte dans l'âge de départ à la retraite permettant de partir un ou deux ans plus tôt pour les travailleurs ayant effectué toute leur carrière dans des métiers pénibles.

Les syndicats de travailleurs apparaissent très inquiets devant cette nouvelle réforme. Ils y voient une tentative supplémentaire d'un gouvernement pour reculer l'âge de départ à la retraite et niveler par le bas les droits des travailleurs. Mais quel regard pouvons-nous porter sur ces grandes lignes à partir des grands principes de la pensée sociale de l'Église : dignité de la personne humaine, écologie intégrale, subsidiarité, solidarité ?

La retraite : un droit fondamental pour l'Église

Avant tout, il apparait important de dire que pour la pensée sociale de l'Église, le droit à la retraite n'est pas juste une option ou une possibilité. C'est un droit fondamental. Le Compendium de la doctrine sociale de l'Église publié par le Saint Siège en 2004 est clair : " Les droits des travailleurs, comme tous les autres droits, se basent sur la nature de la personne humaine et sur sa dignité transcendante. Le Magistère social de l'Église a voulu en mentionner quelques-uns, en souhaitant leur reconnaissance dans les ordonnancements juridiques : le droit à une juste rémunération; le droit au repos; (…) le droit à la retraite ainsi qu'à l'assurance vieillesse, l'assurance maladie et l'assurance en cas d'accidents du travail "

Une égale dignité qui interpelle sur les différents régimes de retraite

La pensée sociale de l’Église pose le principe de l’égale dignité de toutes les personnes humaines. Chacun est un enfant de Dieu qui bénéficie de la même dignité. À ce titre, la proposition d'un régime de retraite unique pour tous apparait comme une avancée majeure. On ne peut qu'être interpellé de voir la très grande diversité des régimes de retraites actuels. Ainsi une personne qui effectue le même travail se verra appliquer des conditions d'accès à la retraite bien différentes s'il travaille dans telle ou dans telle entreprise en fonction du régime de retraite qui s'y applique. Ces différents régimes spéciaux sont le fruit de l'histoire et des luttes sociales et se basent très souvent sur des raisons valables (pénibilité, risque…). Mais cette différence de traitement à de quoi interpeller.

Égalité ou moins disant social ?

Si la recherche d'égalité est bien légitime, pourquoi le régime choisi pour être appliqué à tous est-il le plus défavorable aux salariés ? Dans les propositions qui sont formulées, on ne voit pas la volonté de choisir une voie médiane et équilibrée entre les différents régimes de retraites existants. Le gouvernement semble s'aligner systématiquement sur le régime le moins favorable. La recherche d'égalité serait-elle une simple excuse pour niveler le niveau des pensions et l'âge de départ à la retraite vers le bas ?

La pensée sociale de l'Église nous invite aussi à replacer la notion d'égale dignité dans le contexte de vie des personnes. Ainsi, appliquer un seul et même régime à des personnes dont les vies professionnelles sont complètement différentes est-il vraiment juste ? C'est une vraie question pour les personnes du milieu ouvrier qui ont une espérance de vie sept ans inférieure à celle des cadres et qui sont exposés à des conditions de vie et de travail bien plus usantes. Ainsi, le gouvernement utilise régulièrement l'argument mathématique de l'allongement de l'espérance de vie pour justifier un départ à la retraite plus tardif mais il se refuse à appliquer le même argument à la pénibilité du travail sinon la réforme proposerait que les ouvriers partent en retraite 7 ans avant les cadres, ce qui n'est pas le cas. On avait déjà pu le constater lors de la mise en place du dispositif pénibilité il y a quelques années. Au lieu d'un système simple permettant un départ anticipé à la retraite pour les salariés ayant exercé un métier pénible, les partenaires sociaux et le gouvernement ont monté un système complexe avec de nombreux critères de pénibilité à remplir qu'ils accusent aujourd'hui d'être une usine à gaz. Il est facile de techniciser un problème pour mieux le décrédibiliser. On peut donc s'interroger sur la réelle volonté du gouvernement de permettre une véritable égalité dans l'accès à la retraite en tenant compte de la pénibilité à sa juste proportion.

Une option préférentielle pour les pauvres qui interpelle

La pensée sociale de l'Église pose fortement le principe d'une option préférentielle pour les pauvres. Ce principe affirme que les pauvres doivent être prioritaires dans la vie de l’Église et dans celle de nos sociétés. Ils doivent être prioritaires dans chaque politique publique et initiative privée. Cela apparait comme une nécessité en matière de retraite quand on voit le nombre important de personnes âgées vivant sous le seuil de pauvreté. Or, les premières simulations de calcul de pension laissent apparaître une baisse générale du niveau des pensions, ce qui a de quoi inquiéter sur le niveau de vie des retraités et en particulier des plus pauvres.

Au-delà de ses effets, la philosophie générale de la retraite par points interroge car le principe de "un euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous" est un principe de justice proportionnel
dont on sait bien qu'il favorise les plus aisés par rapport au principe de justice progressif qui répartit mieux les richesses. La philosophie sous-jacente de ce régime tend à laisser croire qu’on ne récolte à la retraite que le fruit de son travail. Ainsi, ceux qui arrivent en retraite avec de faibles pensions sont eux-mêmes coupables de leur sort. N'auraient-ils pas dû travailler plus et mieux pour obtenir un meilleur salaire et donc une meilleure pension ? Ainsi réapparait le spectre de la méritocratie contre lequel le pape François s'est bien souvent dressé. En 2015, le pape prenait la parole pour rappeler que : « La méritocratie est en train de devenir une légitimation éthique de l’inégalité qui culpabilise les pauvres ». C’est pourquoi le Compendium de la doctrine sociale de l'Église affirme : « Une répartition équitable du revenu doit être poursuivie sur la base de critères non seulement de justice commutative, mais aussi de justice sociale, c'est-à-dire en considérant, au-delà de la valeur objective des prestations de travail, la dignité humaine des sujets qui l'accomplissent. Un bien-être économique authentique se poursuit également à travers des politiques sociales de redistribution du revenu ». Un effort notable en direction des plus pauvres est donc nécessaire pour un régime de retraite vraiment juste.

La retraite par répartition : un exemple de subsidiarité

« Il est impossible de promouvoir la dignité de la personne si ce n’est en prenant soin de la famille, des groupes, des associations, des réalités territoriales locales, bref de toutes les expressions associatives de type économique, social, culturel, sportif, récréatif, professionnel, politique, auxquelles les personnes donnent spontanément vie et qui rendent possible leur croissance sociale effective ». Cette phrase tirée du Compendium de la doctrine sociale de l’Église pose le principe de subsidiarité qui rappelle que c’est l’existence des corps intermédiaires organisés qui permet à chacun d’être représenté au sein de la société. C’est une forme de décentralisation organisée qui permet à chacun de participer démocratiquement à la société en mettant de côté les intérêts particuliers.

Ainsi, le système de retraite par répartition apparait comme un exemple de subsidiarité car il implique fortement les partenaires sociaux dans sa gestion et sa négociation. Pourtant, depuis quelques années, ce principe de subsidiarité est bien malmené. Les partenaires sociaux sont de moins en moins écoutés et l'État n'hésite pas à taper dans la caisse de la protection sociale pour financer son propre budget. Autre point d'inquiétude, la nouvelle réforme est bien plus inspirée d'une promesse de campagne du président Emmanuel Macron que du dialogue social.

Les fractures de la société française rejaillissent sur les retraites

Or, la réalité de vie et la vision du monde du travail du président de la République sont profondément différentes de celle des personnes de milieux populaires. Récemment, le président a déclaré, en parlant du travail : "Moi je n’adore pas le mot de pénibilité, parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible". Si on peut comprendre cette parole dans le sens où le travail est, pour les chrétiens, une source fondamentale d’épanouissement, elle montre le décalage de vision du travail avec la grande majorité des personnes de milieux populaires qui souffrent au quotidien de la précarité et des maladies physiques et psychiques provoquées par le travail. Ainsi, il y a une véritable crainte de voir cette vision orientée du monde du travail forger un système de retraite qui soit en décalage avec la réalité des travailleurs modestes. En effet, quel sens un système de retraite par points a-t-il pour des personnes qui ont vécu toute leur vie professionnelle en passant d'un emploi précaire à un autre et d'une période de chômage à une formation… ? Ne seront-t-elles pas fondamentalement désavantagées par rapport à quelqu'un qui bénéficie des moyens pour être compétitif sur le marché du travail ?

Les politiques publiques menées par le gouvernement depuis la dernière élection présidentielle participent à cette inquiétude. En effet, le président de la République semble croire en un partage des richesses sous forme d'un ruissellement qui partirait du haut, à partir des premiers de cordée, des plus riches. Or, pour la pensée sociale de l’Église, ce ruissellement ne peut partir que du bas, des plus pauvres. La suppression de l'ISF, les aides massives distribuées aux entreprises alors que les services publics et les travailleurs modestes sont invités à se serrer la ceinture… ce type de politique publique qui favorise les plus aisés fait forcément planer des inquiétudes sur la capacité du gouvernement à prendre en compte les besoins des plus modestes dans la construction du futur régime de retraite.

Ainsi, on peut s’interroger sur la manière dont cette réforme est mise en place. Alors que le gouvernement a lancé un grand travail démocratique sur la question de la transition écologique au travers d’une convention tirée au sort, la question des retraites mérite aussi d'être débattue plus en profondeur et d'intégrer d'autres regards.

L'écologie intégrale questionne le temps de la retraite

En publiant l'encyclique "Laudato Si" en 2015, le pape François a placé le respect de la nature au coeur de la doctrine sociale de l'Église. Il y insiste sur la nécessité d’une simplicité volontaire afin de préserver notre planète et faire grandir la justice sociale. Ainsi, on peut s'interroger : quel sens cela a-t-il de travailler toujours plus longtemps alors que notre planète souffre de surexploitation et qu'une part croissante de sa population est privée d'emploi ou sous-employée ? Ne sommes-nous pas appelés à un meilleur partage des richesses mais également du temps de travail ?

La retraite a changé. Avant, on partait à la retraite brisé par une vie de travail et dépendant des soins des autres. Aujourd'hui, ce sont les retraités qui sont les premiers acteurs du soin et du lien social. C'est eux qui gardent les enfants et petits-enfants, qui font vivre les associations, qui animent activités culturelles, sportives, sociales et spirituelles de la cité. Bref les retraités sont les premiers acteurs de l’économie non-marchande. L’augmentation du nombre de retraités a, en partie, sauvé la vie associative de nombreux lieux de vie. La présence de jeunes retraités notamment, qui ne sont pas encore touchés par des maladies et des incapacités, sont un véritable plus pour nos communautés.

Ainsi, nous sommes interrogés sur le temps de la retraite. Est-il l'antichambre de la mort ou un temps que nous donne la société pour nous mettre gratuitement au service des autres ? Dans une société de plus en plus fracturée où les travailleurs disposent de moins en moins de temps pour s'engager socialement, le temps de la retraite est bien plus qu'un temps de repos après une vie de travail. C'est le choix social d'un temps de gratuité au service du lien social, du soin et du bien commun.

Choisir de donner du temps pour le bien commun

Il y a là un véritable choix de société qui nous interroge sur le sens même du travail. Aujourd’hui, on compte dans la retraite uniquement le travail que les employeurs décident de rémunérer mais tout le travail gratuit qui a bien souvent une utilité sociale plus forte que le travail rémunéré (s’occuper de ses proches, participer à la vie locale et citoyenne…) est presque complètement ignoré de ce calcul. Saint Paul affirme avec force " Celui qui ne travaille pas, qu’il ne mange pas non plus " mais dans la même phrase il affirme aussi que le service de la communauté est pleinement du travail.

La réforme de notre système de retraite nous conduit vers des enjeux de société bien plus importants que des questions d'équilibre budgétaire. C'est bien le partage des richesses, le partage du travail, la préservation de la planète et du lien social qui sont en jeu. Des questions de fond à garder à l'esprit de tous ceux qui ont manifestés le 5 décembre et qui le feront dans les jours à venir et de tous ceux qui ne le feront pas pour forger leur opinion sur la future réforme.

Télécharger le texte de réflexion proposé par la Mission Ouvrière de Lille.

Pour aller plus loin :

Participez à la consultation nationale sur la réforme des retraites : https://participez.reforme-retraite.gouv.fr/

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